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UNIVERSTITE PARIS V
TRANSFORMATION DU DROIT DES SOCIETES
Thèse pour le doctorat en Droit présentée et soutenue publiquement devant le jury de l'Université Paris V- René Descartes par Laurent ROUZEAU Le 29 mars 2002 à 10 heures
Directeur de Thèse : Monsieur Charley HANNOUN Professeur à l'Université Picardie - Jules Verne
RESUME
Instituée par la loi n°94-1 du 3 janvier 1994, la Société par Actions Simplifiée a initialement été créée dans le but pragmatique de fournir aux entreprises françaises et étrangères un véritable instrument de coopération débarrassé des nombreuses rigidités administratives et de fonctionnement de la société anonyme. A l'origine élitiste, son régime, déjà faiblement réglementé, a été libéralisé par la loi n°99-587 du 12 juillet 1999 à l'attention de l'ensemble des personnes physiques et morales.

Aujourd'hui, sous réserve de quelques prescriptions impératives, relatives notamment au montant de son capital social, la direction et la gestion de la société ainsi que le contrôle de l'actionnariat dépendent essentiellement des statuts. Son régime juridique se caractérise donc, principalement, par un recul très net de l'ordre public et par la prééminence des dispositions statutaires. Ce faisant, elle offre à l'entreprise une flexibilité d'aménagement remarquable tant au niveau micro-économique que macro-économique.

Au niveau micro-économique, elle se présente fondamentalement comme un nœud de contrats, c'est-à-dire le résultat d'un ensemble de relations interindividuelles entre les dirigeants, les associés et les "stakeholders". A ce titre, elle cristallise un courant de pensée néo-libéral, représenté principalement par la théorie de la firme, et relance le débat sur la nature de la société. Au niveau macro-économique, elle répond adéquatement aux besoins d'aménagement et de coordination des sociétés dont la vie se développe aujourd'hui en réseau. La SAS permet en effet la mise en place d'une structure polycellulaire et réticulée dans le cadre, notamment, des politiques d'externalisation, de filialisation et de partenariat engagées par les entreprises.

De plus, sous sa forme actuelle, elle entraîne le droit des sociétés, tant français qu'européen, vers une véritable révolution copernicienne. En effet, depuis la réforme du 12 juillet 1999, c'est la philosophie même de la SAS qui est modifiée. Alors qu'elle avait pour objectif de servir de structure d'accueil pour les opérations de joint-venture, la voilà désormais propulsée au rang de société de droit commun susceptible, par sa polyvalence et sa ductilité, de concurrencer, voire d'éclipser, les formes sociales traditionnelles. Pour cette raison, elle invite aujourd'hui ouvertement le législateur français à reconcevoir et rationaliser l'ordonnancement sociétaire et à prendre acte de la distinction de plus en plus flagrante qui sépare les sociétés fermées des sociétés ouvertes. Par son prosélytisme, elle va même jusqu'à servir d'exemple à la construction d'une société fermée européenne. Combinée au projet de Société Anonyme Européenne qui devrait enfin voir le jour après plusieurs décennies de tergiversations, elle pourrait donc contribuer à dynamiser la coopération transfrontalière en Europe et, finalement, redonner un second souffle au droit des sociétés européen.

L'externalisation, parfois appelée "intélisme" par référence au modèle d'aménagement de la société Intel, présente de nombreux avantages. Via un ensemble de contrats de sous-traitance et d’exploitation commerciale, tels que la franchise et la concession, elle permet à l’entreprise en réseau, notamment:

"Il ne faut point de lois inutiles,
elles affaibliraient les lois nécessaires,
elles compromettraient la certitude et la majesté des lois."

Portalis


INTRODUCTION
1 - Depuis 1994, le débat sur la SAS semble se focaliser sur ses aspects techniques(1). La banalisation de la SAS par la réforme du 12 juillet 1999 n'a fait que renforcer cette tendance. Pour l'essentiel, les nombreux articles et ouvrages déjà publiés se contentent donc de cerner les limites de son régime légal et d'appréhender ses mécanismes conventionnels. Il est vrai que ce spécimen contractuel justifie les efforts déployés en vue d'en comprendre le mode d'emploi alors même qu'il ne bénéfice pas encore de l'éclairage bienveillant de la jurisprudence. Habitués depuis plus de trente ans à jongler avec les dispositions impératives de la loi du 24 juillet 1966, certains juristes ne manquent pas en effet d'être interloqués par la marge de manœuvre qui leur est désormais offerte. Aujourd'hui, sans pour autant être totalement maîtrisées sur un plan pratique, ses principales modalités de fonctionnement semblent cependant être assimilées. Dans ces conditions, il nous apparaît opportun de déplacer le débat et de lancer de nouvelles pistes de réflexion en portant notre attention principalement sur les incidences de cette forme sociale sur le droit des sociétés. Notre objectif n'est donc pas d'étudier la SAS d'un point de vue exclusivement technique mais de s'interroger sur le processus de transformation du droit des sociétés qu'elle est en mesure d'initier. Autrement dit, nous chercherons à démontrer, à travers ses principales caractéristiques et utilisations, pourquoi la SAS se présente comme un puissant vecteur de transformation. Le terme de vecteur (du latin vehere : transporter) est ici entendu également comme synonyme de support, de véhicule et, plus généralement, de catalyseur. Il implique le passage vers un nouvel ordre juridique, voire un nouvel état de conscience législatif, dont nous tâcherons de dessiner les contours. En préliminaire, nous commencerons par présenter le contexte économique et sociologique dans lequel s'inscrit la SAS et, plus généralement, notre étude. En effet, c'est précisément ce contexte qui permet de comprendre à la fois ses origines et son adéquation avec les réalités du monde des affaires et d'entrevoir, finalement, sa destinée tant nationale qu'européenne (A). Cette présentation nous amènera ensuite naturellement à poser certaines définitions afin de clarifier sa position face aux processus de modernisation, de déréglementation et de simplification du droit des sociétés dans la mesure où ces termes, en dépit d'un emploi généralisé, restent nimbés d'une certaine imprécision. La notion de transformation par opposition à celle de réforme fera par ailleurs l'objet d'une attention et d'une interprétation particulières puisque c'est sur elle que repose l'essentiel de notre démonstration (B). Enfin, nous présenterons les grandes lignes de la genèse de la SAS (C).

CONTEXTE

2 - Le contexte en question, c’est celui d’un capitalisme triomphateur qui, depuis la chute du modèle économique socialiste, ne fait plus face, en dépit de certains soubresauts(2) , à une véritable critique(3). C’est aussi celui d’un capitalisme qui, au cours de ces deux dernières décennies et sous l’influence des marchés financiers(4), s’est profondément restructuré, voire transformé(5), via le mouvement de fusions-acquisitions(6). C’est enfin celui d’un capitalisme que l'on pourrait qualifier de "moderne", par opposition à celui du début du siècle, voire d'après-guerre, qui trouve sa consécration dans le processus de mondialisation des économies. Or, cette mutation du système économique a entraîné, inévitablement, une transformation de l’entreprise et, corrélativement, de son mode d'aménagement. Pour cette raison, et parce qu'il nous semble être à la fois les éléments les plus caractéristiques de ce capitalisme et les plus influents au regard de l'évolution probable du droit des sociétés, nous présenterons successivement les processus de mondialisation et de mise en réseau de l'entreprise.
  •   Caractéristiques et enjeux de la mondialisation
3 - La mondialisation ou globalisation est généralement définie comme un mouvement d'internationalisation des économies induit par le développement des échanges de biens, de services et de capitaux(7). Débutée après la seconde guerre mondiale avec la création du GATT(8), elle s'est progressivement accélérée pour atteindre des niveaux records au milieu des années 1990. Schématiquement, on peut dire que si jusqu'au début des années 1980, le mouvement d'intégration de l'économie mondiale s'est surtout traduit par une très forte croissance du commerce international, depuis on a assisté d'une part, à une internationalisation des sociétés(9) et d'autre part, au développement massif des investissements internationaux(10). Ce processus de globalisation a corrélativement engendré et stimulé la concurrence entre les économies nationales. L'attraction des entreprises étrangères et de leurs capitaux est ainsi devenue l'un des enjeux majeurs des politiques publiques de développement et de lutte contre le chômage(11). Pour les gouvernants nationaux, il est donc devenu impératif de connaître précisément les éléments qui influencent les firmes multinationales dans le choix de la localisation de leurs investissements. Plusieurs critères clés peuvent être dégagés mais il apparaît que la "qualité" de l'environnement légal et réglementaire est de toute première importance(12). Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que la plupart des Etats considèrent aujourd'hui les domaines fiscaux et juridiques comme des éléments essentiels de leur politique économique. Le droit, et tout particulièrement le droit des sociétés commerciales, se voit donc mis au service de l'économie nationale et tenu d'offrir un cadre légal et réglementaire compétitif par rapport aux pays concurrents(13). En tant que tel, il doit contribuer au développement des divers secteurs de l'économie nationale en stimulant les entreprises locales mais aussi en attirant les investisseurs étrangers .
  •   La mise en réseau des groupes de sociétés
4 - Eu égard à ce processus de mondialisation, on relèvera principalement que les groupes, dans leur quête incessante de rationalité et d'efficience, se sont restructurés aujourd'hui en réseaux. Cette mise en réseau s'inscrit généralement dans une politique de développement qui passe par un recentrage très net de l'activité sur le cœur de métier. Au final, les groupes "amaigris" s'appuient aujourd'hui sur une nébuleuse d'intervenants et de sociétés partenaires dont l'intégration s'opère, traditionnellement, par des liens financiers mais aussi, dorénavant, par des liens contractuels relativement durables, c'est-à-dire qui transcendent le simple rapport marchand . D'où l'idée que la société, bien plus qu'une simple technique d'organisation des entreprises , s'impose à présent comme un contrat de coordination. Cet aspect endogène de la mondialisation est un élément essentiel qu'il faut mettre en évidence. Il correspond à une tendance lourde du capitalisme moderne. Or, de façon surprenante, il est resté jusqu'à présent quasiment ignoré des juristes. En effet, c'est essentiellement dans la littérature économique, dans les sciences de gestion et la sociologie de l'entreprise qu'il est fait état de ce nouvel aménagement des groupes . Il est pourtant d’emblée évident que cette mise en réseau ne saurait rester sans influence sur l'agencement de la société et ses besoins juridiques. Aussi, l’un des objectifs de notre étude sera de déterminer quel peut être le cadre légal adapté à cette nouvelle configuration. Plus précisément, nous essayerons de déterminer si la SAS répond adéquatement à cette modification structurelle qui tend à transformer la société en contrat de coordination .
Préalablement, il nous semble toutefois essentiel de clarifier la situation de la SAS face aux processus de modernisation, de déréglementation et de simplification du droit des sociétés.

B. PRECISIONS TERMINOLOGIQUES
  •   SAS et modernisation
5 - A mesure que la mondialisation s'est affirmée, il est apparu, tant aux entreprises qu'à de nombreux juristes, que le droit français des sociétés offrait des réponses plutôt insatisfaisantes. En dépit de certaines adaptations, il reste en effet marqué culturellement par un dirigisme législatif et réglementaire . Or, dans un environnement mondialisé et concurrentiel, il est évidemment impératif que tout système juridique propose des réponses appropriées aux différents opérateurs . D'où une volonté de modernisation et une aspiration contemporaine à plus de souplesse qui, en droit des sociétés, semble avoir trouvé une véritable consécration avec la SAS. Grâce à des caractéristiques originales, elle semble effectivement en mesure de répondre avec pertinence aux besoins des milieux d'affaires. Ce faisant, elle se présente incontestablement comme une société moderne.
Ici, l'adjectif "moderne" doit être entendu dans son sens traditionnel. Est moderne ce qui appartient ou convient au temps présent, qui se conforme et est adapté aux évolutions les plus récentes. Le Rapport Marini sur "La modernisation du droit des sociétés", précise d'ailleurs que "moderniser, c'est s'adapter à de nouvelles réalités" . Ceci étant, non contente d'être "moderne", la SAS porte également les germes d'une modernisation générale du droit des sociétés. Face à la multiplication et la diversification des initiatives économiques, elle permet d'envisager, dans un souci d'efficience, de rationalisation et de clarification, la consécration, tant au niveau national qu'européen, d'un système juridique prenant en compte tout autant les intérêts des sociétés fermées que ceux des sociétés ouvertes. Comme cet aspect n'a, pour le moment, été que très partiellement perçu par les juristes, notre ambition sera donc d'engager là aussi une réflexion prospective quant à son apport sur l'ordre sociétaire et de démontrer, parce qu'elle répond aux préoccupations de l'entreprise postindustrielle, qu'elle a non seulement un avenir mais aussi un destin juridique. Autrement dit, la SAS n'est pas seulement une société moderne mais aussi, selon nous, une société modèle.
  •   La SAS et la déréglementation du droit des sociétés
6 - Aussi bien dans la presse économique que dans les revues juridiques spécialisées, il est courant d'associer la mondialisation de l'économie et la modernisation du droit des sociétés au processus de déréglementation. Essentiellement d'origine économique, la transposition de ce processus en termes juridiques est délicate. Il est par conséquent nécessaire d'en donner ici une définition précise et de le situer par rapport la SAS dans la mesure où il est couramment admis qu'elle en serait le résultat.D'un point de vue économique, la déréglementation ou "dérégulation" correspond à une politique néo-libérale de retrait volontaire de l'Etat visant à rétablir les mécanismes de la concurrence sur les marchés. Elle est aujourd'hui pratiquée très largement, parfois à l'incitation de l'Union Européenne, dans des domaines tels que les transports aériens, les télécommunications et l'énergie. Concrètement, elle s'accompagne, généralement, de privatisations et donc d'une remise en cause des anciens monopoles publics. D'un point de vue juridique, le mouvement de déréglementation correspond à un allégement ou une diminution des règles d'ordre public au profit d'une plus grande liberté contractuelle, autrement dit, à un effort de contractualisation du droit des sociétés. L'avant-projet de réforme du droit des sociétés de juin-juillet 1998, par certaines de ses propositions, correspond à un tel processus.

7 - La position de la SAS face à ce mouvement de déréglementation est ambiguë. On peut considérer qu'elle a été constituée à l'origine pour servir de modèle de contractualisation à la SA. En ce sens, elle aurait pour objectif d'inciter le législateur à desserrer les liens législatifs et réglementaires qui étranglent les entreprises. Pourtant, stricto sensu, elle n'est pas elle-même le résultat d'un tel processus dans la mesure où elle dispose d'un régime légal autonome créé ab initio et sur l'initiative du CNPF. Dans cette perspective, il nous semble possible d'affirmer qu'elle est plutôt l'aboutissement d'un processus de régulation. Qu'est-ce que la régulation ? De façon générale, la régulation trouve son origine dans les comportements ou les propositions d'organismes non gouvernementaux, souvent de nature professionnelle. Concrètement son objectif est d'assurer le jeu loyal des forces du marché généralement sous le contrôle d'une autorité indépendante . Elle correspond à un type de gestion par le marché qui cherche, autant que possible, à éviter l'intervention de l'Etat. Elle exprime donc un nouveau rapport entre le droit et l'économie et il semble possible aujourd'hui d'affirmer qu'il existe, au travers de "lois-cadre", un véritable droit de la régulation(24) . D'un point de vue sémantique, la régulation se distingue donc nettement de la réglementation. Par définition, cette dernière renvoie en effet à un ensemble de dispositions légales et réglementaires cherchant à imposer certaines valeurs ou à défendre certains intérêts et correspond, en définitive, à une intervention étatique dans les règles du jeu . Au regard de ces explications, il est clair que la loi n°2001-420 du 15 mai 2001 sur les Nouvelles Régulations Economiques entretient donc une certaine confusion terminologique dans la mesure où, sur de nombreux points, elle impose plus qu'elle ne propose et s'apparente, de ce fait, plus à une forme de réglementation ou "néo-réglementation" que de régulation(26). Dans cette perspective, il semble bien que la SAS propose en réalité un nouveau mode d'agencement des relations juridiques. En effet, eu égard à son régime légal, seules quelques règles du jeu sont posées afin de garantir, a minima, les droits des associés et des tiers. In fine, elle se présente donc comme le résultat d'une libre négociation (idée de marché) entre les différents intervenants (associés, dirigeants, salariés, tiers, etc.) sous la surveillance d'une autorité de régulation (loi du 3 janvier 1994 telle que modifiée par la loi du 12 juillet 1999).
  •   La SAS et la simplification du droit des sociétés
8 - Alors qu'il est courant de présenter la SAS tant comme le résultat que l'expression d'un processus de simplification du droit des sociétés, on ne peut que constater l'absence d'analyse juridique précise de ce terme. Or, cette absence est d'autant plus regrettable qu'elle est susceptible d'entretenir certaines confusions et d'encourager certaines idées reçues. D'où l'importance de s'interroger sur sa véritable portée. Cette idée de simplification doit être appréhendée de trois façons différentes : (i) à l'égard des normes juridiques applicables, (ii) à l'égard de la pratique et, enfin, (iii) à l'égard de l'ordonnancement structurel de la loi du 24 juillet 1966 (ci-après "la Loi") ,.i) Les normes juridiques applicables - La loi du 3 janvier 1994, telle que complétée par l'article 3 de la loi du 12 juillet 1999, regroupe les dispositions spécifiques régissant la SAS dans la section XI du chapitre IV du titre premier de la loi du 24 juillet 1966 (articles L.262-1 à L.262-20) . En outre, elle complète cette Loi par un volet pénal applicable aux SAS (articles L.464-1 à L.464-4).
En dépit de cette concision et de cette apparente simplicité, le régime légal de la SAS est, en réalité, relativement complexe . En effet, contrairement à la grande majorité des formes sociales dont les dispositions légales et réglementaires sont regroupées dans des textes spécifiques, ces vingt articles ne suffisent pas à rendre compte du corps de règles la gouvernant . Conséquemment, certains problèmes d'interprétation et de mise en pratique sont susceptibles de survenir du fait, notamment, de son autonomie par rapport à la société anonyme et de la difficulté de concilier des textes qui, tant dans la technique juridique que dans l'esprit, sont fondamentalement différents . Par ailleurs, il est essentiel de souligner que ces dispositions légales n'ont pas pour vocation à fournir un cadre précis à l'activité sociale mais seulement à poser une charpente sur laquelle doit venir s'appuyer une construction contractuelle. D'où l'idée que le droit de la SAS est un droit en formation puisque seuls les contours en sont définis et que le contenu est, lui, laissé au libre-arbitre des associés. Aussi, la position adoptée par le législateur, en s'abstenant volontairement d'édicter des règles supplétives en cas de silence des statuts, doit-elle inciter ces associés et leurs conseils à la plus extrême circonspection et à ne pas sous-estimer les difficultés pratiques et rédactionnelles ainsi que les obstacles inhérents à la négociation du contrat de constitution.
Finalement, il apparaît clairement que la loi du 3 janvier 1994 ne propose pas une forme dégénérée ou simpliste de société anonyme et l'adjectif "simplifié" ne signifie pas que la nouvelle forme soit, en elle-même, simple. Au contraire, en laissant une large initiative à la volonté des associés, elle les oblige à un effort d'imagination et de discernement plus grand que dans les autres structures sociales. L'adjectif "simplifié" retenu par le législateur pour qualifier cette nouvelle société par actions est donc potentiellement trompeur. En effet, il donne aux praticiens et aux entrepreneurs, par référence à une société anonyme hyper-réglementée, et donc considérée comme complexe, l'impression d'une forme sociale facile d'utilisation. Or, la SAS correspond en réalité à une nouvelle forme de complexité juridique puisque le succès de la formule qu'elle propose tient très largement dans la cohérence et l'équilibre contractuels négociés entre ses différents membres. Il en découle une interdiction pratique de recourir à des clauses de style et des dispositions imprécises négligeant les aspects fondamentaux du fonctionnement de la société ou des rapports entre associés. A défaut, le vide juridique qui en résulterait serait en effet porteur d'autant d'incertitudes que les pactes d'actionnaires et autres protocoles qui constituent, encore à ce jour, le "pain quotidien" de très nombreux juristes. ii) La pratique - L'idée de simplification devrait trouver sa principale expression dans l'aménagement des filiales de groupes et l'utilisation des SASU. La SAS devrait, en outre, permettre de simplifier sensiblement le mode de direction de très nombreuses sociétés en évitant la mise en place des conseils d'administration et de leur cortège de règles impératives. Enfin, elle devrait simplifier l'agencement des pouvoirs et des rapports entre associés dans la mesure où elle légalise certaines clauses contractuelles ordinairement comprises dans des pactes d'actionnaires. Au final, cette idée de simplification s'accompagne ici d'une rationalisation et d'une sécurisation des relations juridiques . Elle confirme que la SAS correspond à des besoins pratiques réels et non à une "simplicité simplificatrice"(34).

iii) L'ordonnancement structurel de la Loi - A mesure que la SAS gagne du terrain sur la SA et la SARL, s'imposant ainsi, de plus en plus, à l'égard des sociétés fermées comme la structure de droit commun, elle invite le législateur à s'interroger sur l'équilibre et la cohérence de la loi du 24 juillet 1966. On peut se demander en effet s'il est aujourd'hui bien opportun de mettre en concurrence des formes sociales dont les champs d'application, sous l'effet notamment de la contractualisation, tendent à se rapprocher voire à se confondre alors que, de surcroît, la SAS permet d'en faire la synthèse . Dans ces conditions, il semble bien qu'elle pousse le législateur à rationaliser l'ordonnancement structurel de la Loi en consacrant finalement une seule et unique société fermée. C'est, selon nous, l'aspect le plus essentiel de la simplification. Pourtant, il est encore loin d'avoir été appréhendé par la majorité des juristes. Pour cette raison, nous y consacrerons une large part de notre réflexion dans la mesure où il conditionne une véritable transformation du droit des sociétés. Ce qui est en jeu ici, c'est bien en effet une transformation et non une simple réforme.
  •   Transformation vs réforme
9 – Dans le cadre de notre étude, la notion de transformation sera envisagée sous deux angles différents mais néanmoins indissociables. Dans une première acception, elle correspond à un processus d'érosion de la Loi initié et entretenu par les organisations professionnelles, c'est-à-dire à une méthode de modelage du paysage sociétaire par la pratique qui renvoie à l'idée de régulation . Il est donc question ici d'une "réforme par le fond" par opposition à une réforme législative. Dans cette perspective, la SAS se présente comme une "bombe à retardement" lancée par le CNPF avec pour objectif de saper, c'est à dire de faire tomber par une action progressive et occulte, le caractère institutionnel de la loi du 24 juillet 1966. En ce sens, elle n'est déjà pas une société ordinaire et la volonté de satisfaire les besoins de coopération des entreprises, bien que réelle, n'a servi à l'origine qu'à masquer cette véritable ambition.
A priori, on peut penser que ce lent travail de sape se fait à l'insu du législateur. Néanmoins, on peut avancer l'hypothèse que loin d'être dupe, il encourage au contraire ce processus. Autrement dit, il aurait renoncé volontairement à une "réforme par le parlement" au profit d'une "réforme par la pratique". Prenant conscience de l'impossibilité d'arriver à une réforme législative globale et satisfaisante de la Loi, il aurait alors laissé le soin aux utilisateurs, via la SAS, de transformer progressivement le paysage juridique et de l'adapter à leurs besoins. L'idée de transformation renverrait donc également à une forme d'attentisme et de pragmatisme législatif s'inscrivant dans un processus de réformes par étape dont la première correspondrait à la création de la SAS en 1994 et à son utilisation conditionnelle. La deuxième étape renverrait à sa libéralisation en 1999. Enfin, la troisième étape, encore à venir, correspondrait à une réforme d'ensemble du droit des sociétés après que la SAS ait d'une part, rassuré sur ses qualités techniques et prouvé sa valeur utilitaire et d'autre part, modifié en profondeur le paysage sociétaire. Dans ce sens, la SAS et l'évolution du droit des sociétés seraient donc le résultat d'une interaction ou connivence entre les organisations professionnelles, la Chancellerie et le Ministère de l'Economie. Etant donné la collaboration de plus en plus étroite entre ces organisations et le législateur, une telle hypothèse n'est pas à exclure et pourrait expliquer l'empressement et l'apparente candeur avec laquelle le Parlement a réformé la loi du 3 janvier 1994. Quoi qu'il en soit, il est bien question ici d'une véritable méthode de transformation. Par méthode, on entend en effet une démarche raisonnée, ordonnée et employée pour obtenir un résultat précis. Dans une seconde acception, conforme à son contenu sémantique, le terme de transformation correspond à un changement de forme, c'est-à-dire au passage d'un état à un autre comme lorsque la chenille se transforme en papillon . Il est synonyme de métamorphose. Dans cette perspective, le terme de transformation renvoie à l'idée d'une remise en cause globale ou "reconception" de l'ordonnancement sociétaire tel que posé par la Loi. A l'inverse, l'idée de réforme renverrait à une action législative qui cherche seulement à consolider ou améliorer le système en place. La réforme s'opère donc dans un cadre prédéfini qu'elle vise à conserver alors que la transformation se propose, au contraire, de le remplacer.

C - LA GENESE DE LA SAS

10 – La SAS s'est développée en deux étapes successives distantes d'environ cinq ans. Chacune d'elles a déclenché un séisme de forte magnitude dans le paysage juridique français suivi d'une gigantesque et puissante déflagration dont le souffle a emporté, dans un tourbillon contractuel, les principales théories et pratiques auxquelles se raccrochaient, depuis de longues années, la plupart des juristes. Le premier séisme, de forte amplitude mais très localisé, car anticipé et canalisé par les sismologues du droit des sociétés, a été enregistré en 1994. A l'inverse, le second séisme, enregistré cette fois en 1999, a atteint des records de puissance et a surpris même les meilleurs experts. Sa portée a été très large et l'onde de choc a été ressentie vivement dans le monde des affaires. Ses conséquences sont encore difficiles à évaluer mais il semble bien qu'elles puissent être dévastatrices pour les formes sociales traditionnelles et qu'elles obligent, à terme, le législateur à engager un important travail de reconstruction et de reconception du droit des sociétés.
Après avoir rappelé l'inadaptation de la Loi aux besoins des entreprises, on présentera donc l'origine de la loi du 3 janvier 1994. On insistera ensuite sur les enjeux terminologiques de la SAS au regard de l'ordre sociétaire. Enfin, on passera en revue les principaux projets de réforme de la SAS pour conclure avec la loi du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche.
  •   De l'inadaptation de la loi du 24 juillet 1966
11 - La loi du 3 janvier 1994, qui a donné naissance à la Société par Actions Simplifiée, est d'abord née d'un constat : celui de l'inadaptation de la loi du 24 juillet 1966 aux besoins réels des entreprises, étant entendu que cette inadaptation est d'autant plus flagrante que notre système juridique est aujourd'hui mis en concurrence avec celui de nos principaux partenaires économiques. La SAS se présente donc d'abord comme le symptôme de la crise du droit des sociétés. Cette Loi, si souvent retouchée , se présente en effet comme une œuvre législative extrêmement tatillonne marquée par une tendance "fusionnelle, collectiviste" qui reflète les mentalités et conceptions de son époque d'élaboration . Ce faisant, elle a favorisé la "publicisation de l'Entreprise" et même, selon certains , bridé l'initiative individuelle et le développement des sociétés commerciales.
De fait, elle regroupe un grand nombre de dispositions d'ordre public et encadre de façon extrêmement précise le fonctionnement des sociétés et, en particulier, celui de la société anonyme, conçue comme un instrument de drainage de l'épargne. Plus d'une centaine d'articles, d'une grande minutie, regroupés sous les rubriques "Direction et administration" et "Assemblées d'actionnaires", bordent ainsi sa vie et son fonctionnement . Au final, le dispositif qui en résulte est certes garant de la sécurité juridique des tiers et des petits épargnants, mais il s'avère, à l'usage, souvent incommode. De plus, les réformes successives de la Loi, qui n'ont pas toujours réussi à répondre entièrement aux attentes de la pratique, ont entamé sa lisibilité et sa cohérence d'ensemble à tel point que "par certains côtés, elle donne une impression de chaos".

12 – Il n'est pas étonnant dans ces conditions que, dès la fin des années 1980, un certain nombre de juristes et d'entrepreneurs commencent à militer pour une plus large déréglementation. Ils souhaitent revenir à une conception plus contractuelle de ce droit afin, selon eux, de dynamiser l'économie, de renforcer le tissu des PME, d'attirer les entreprises étrangères et d'éviter la délocalisation de nos entreprises nationales. Conséquemment, ils proposent de redéfinir les domaines respectifs de la loi et du contrat et d'opérer une distinction entre d'une part, les règles purement internes au fonctionnement de la société, régies par les statuts - la loi n'aurait alors qu'un caractère supplétif - et d'autre part, celles relatives à la notion même de société et à sa structure et définissant les rapports externes de la société, qui seraient alors régies par des dispositions impératives.

13 – Si cette aspiration a plus de souplesse et de liberté trouve sa première consécration en 1994 avec la loi "Madelin" , c'est indiscutablement avec la naissance de la SAS que ces revendications prennent forme ouvrant ainsi la porte à un véritable renouveau contractuel. Avec ces deux textes, l'année 1994 inaugure donc une nouvelle ère législative. Elle marque les premières victoires des thèses "libérales" sur le dogmatisme juridique et la rigueur sécuritaire. Elle amorce, en définitive, la contractualisation du droit des sociétés commerciales et laisse entrevoir la possibilité d'une réforme "paradigmatique" de la Loi.
  •   L'origine de la loi du 3 janvier 1994
14 - Ce sont principalement les lobbies d'entrepreneurs qui sont à l'origine de la loi du 3 janvier 1994. Pour justifier leur démarche, ils soulignent que si les règles impératives qui régentent la SA trouvent leur raison d'être lorsqu'une société regroupe de nombreux épargnants, elles sont à l'inverse injustifiées et encombrantes lorsque des partenaires, peu nombreux et responsables, souhaitent s'associer pour mener à bien un projet commun. En outre, ils font observer que le manque de souplesse juridique et de réalisme économique de la SA a entraîné un fort courant de délocalisations à destination de la Grande-Bretagne, du Luxembourg et surtout des Pays-Bas qui, avec la Naamloze Vennootschap (ci-après "NV") et la Besloten Vennootschap (ci-après "BV"), offrent aux associés-fondateurs une très grande liberté statutaire . En définitive, ils soulignent qu'au-delà de considérations strictement fiscales, "le droit français fait figure d'épouvantail" et qu'il n'est donc pas étonnant que la plupart des sièges sociaux, des sociétés holdings et des filiales communes soient localisés à l'étranger . En d'autres termes, ils insistent sur l'origine essentiellement juridique des délocalisations.
15 - Représentant pour partie ces entrepreneurs et souhaitant formaliser leurs principales revendications, le CNPF constitue alors un groupe de travail. Présidé par B. Field, ce groupe présente dès 1991 un projet de Société Anonyme Simplifiée, largement inspiré de la BV néerlandaise, avec l'ambition d'offrir aux entreprises françaises et étrangères un instrument compétitif, souple et adapté à leurs exigences de coopération . D'inspiration libérale et affichant une nette volonté de contractualisation, ce projet, parti du constat que les dispositions impératives qui régissent les assemblées, l'administration et la direction des sociétés par actions répondent à une logique de protection des actionnaires minoritaires, propose de rendre supplétives l'ensemble de ces dispositions et de limiter les règles impératives au seul contrôle des comptes et à la délimitation des pouvoirs des représentants légaux. De plus, sensible à la contractualisation insidieuse du fonctionnement des SA par la pratique des pactes d'actionnaires, il décide d'autoriser certaines clauses à prendre officiellement leur place dans les statuts. 16 – Séduite par ces propositions, la Chancellerie fait alors déposer un projet de loi en mai 1993 qui devient finalement, près d'un an plus tard, la loi du 3 janvier 1994 . Mais, alors que la commission présidée par B. Field entendait créer un type allégé de société anonyme, le Gouvernement et le Parlement réorientèrent les travaux pour créer un nouveau type de société par actions. Le Parlement justifia sa démarche par la volonté de soustraire cette nouvelle forme sociale aux dispositions européennes posées par les différentes directives d'harmonisation et de coordination sur le droit des sociétés et, en particulier, par le projet de 5ème directive . En effet, les directives ne visent, pour la France, que les sociétés "anonymes". Ainsi, alors que dans le projet présenté par le CNPF la nouvelle société était dénommée Société Anonyme Simplifiée, dans le projet de loi, la société fut rebaptisée Société par Actions Simplifiée .
  •   SAS ou SAS, quels enjeux ?
17 - Fallait-il instaurer une Société Anonyme Simplifiée ou une Société par Actions Simplifiée ? La solution préconisée par le CNPF avait le mérite de la clarté puisque la nouvelle société, en cas de silence des statuts, devait se rattacher, subsidiairement, à un corps de règles matérielles et jurisprudentielles complet et connu. En outre, la société se trouvait, sans ambiguïté possible, soumise aux directives communautaires et offrait aux partenaires étrangers une structure sociale de référence familière et éprouvée. Enfin, le système fiscal, rattaché de facto à celui de la SA, bénéficiait de la reconnaissance des nombreuses conventions fiscales internationales .
18 – Mais, au-delà des intérêts pratiques avancés par le CNPF, l'enjeu dépassait en réalité de très loin le cadre d'un débat purement terminologique. Accepter tel quel le projet présenté par le patronat, c'était en effet, pour le législateur, ouvrir en grand la boite de Pandore. Car l'objectif inavoué, mais bel et bien sous-jacent au projet du CNPF, était d'initier, via la SAS, un large mouvement de réforme de la société anonyme. Tel un cheval de Troie, la Société Anonyme Simplifiée, devait sournoisement réformer de l'intérieur le droit des sociétés commerciales. Si la Société Anonyme Simplifiée avait été conservée, il était donc fort probable qu'elle supplante rapidement la société anonyme classique.
Si en 1994 le législateur a souhaité conserver cette distinction entre Société par Actions Simplifiée et Société Anonyme Simplifiée, ce n'est donc pas pour éviter l'application des directives européennes mais plutôt pour prévenir toute contamination de la société anonyme par le droit des contrats et éviter que son champ d'utilisation ne soit réduit, à terme, à une peau de chagrin. J. Honorat se demande d'ailleurs fort justement si "ce scrupule terminologique [l'abandon du terme société "anonyme" simplifiée au profit de société par actions simplifiée] n'était pas excessif de la part des pouvoirs publics. Plusieurs pays européens ont, en effet, en matière de sociétés anonymes des législations extrêmement peu coercitives, dont la commission ne semble jamais s'être alarmée". Ainsi, sans rejeter totalement l'idée avancée par le CNPF, le législateur préféra requalifier puis verrouiller le projet de Société Anonyme Simplifiée afin d'éviter que cette nouvelle forme sociale ne vienne phagocyter progressivement la SA et finisse, tel un virus informatique, par contaminer le droit français des sociétés commerciales. Pour éloigner ce qui devait représenter, à ses yeux, les premières métastases d'un cancer contractuel, la SAS millésime 1994 fut donc soumise à des conditions strictes d'utilisation. Finalement, dans le désert contractuel engendré par la loi du 24 juillet 1966 et dominé par une étouffante réglementation impérative, la SAS était vouée à rester une oasis de liberté difficile d'accès, trop lointaine en tout cas pour la plupart des caravaniers du droit des sociétés. Il était d'ailleurs évident pour le législateur de l'époque que la SAS n'avait nullement vocation à devenir la société de droit commun .
Dés l'origine, ce virus contractuel fut donc en partie neutralisé par l'installation de quelques contre-mesures et ses effets sur notre droit des sociétés restèrent relativement limités même s'il était permis d'espérer que, rapidement, nombre de dispositions de la loi nouvelle soient introduites dans le droit des sociétés. Pour autant, si l'on pouvait regretter le rejet d'une Société Anonyme Simplifiée, le projet gouvernemental de SAS avait déjà le mérite de lancer la réflexion sur l'importance du droit conventionnel et de donner le ton à une éventuelle réforme. Son apport était donc considérable et son influence s'est d'ailleurs retrouvée depuis dans les différents projets de rajeunissement du droit des sociétés. Enfin, son origine et sa conception venaient confirmer la tendance selon laquelle l'impulsion législative est aujourd'hui souvent donnée par les milieux économiques. Il est remarquable en effet, qu'avec la SAS, les pouvoirs publics aient formalisé l'essentiel des demandes des entrepreneurs dont le CNPF s'était fait porte-parole .
  •   Des projets de réforme de la SAS….
19 - Deux années seulement après son entrée remarquée dans l'univers des sociétés commerciales, il était déjà question de réformer la SAS en l'autorisant à devenir unipersonnelle.
Sous cette proposition de réforme se profilait, en fait, un premier constat d'échec. Le législateur prenait conscience que la SAS, en tant que structure de coopération, lui avait en partie échappé puisque la pratique l'utilisait principalement comme outil de filialisation . Or, cette utilisation était, d'un point de vue juridique, particulièrement décevante vu les espoirs que cette joint-venture "à la française" avait pu susciter lors de sa conception. Prenant acte de cette "dérive", le législateur entendait donc mettre en adéquation le droit avec la pratique. Dans son dernier avant-projet de loi de réforme de la loi du 24 juillet 1966 , le législateur proposait en outre, de permettre la transformation d'une société anonyme en SAS sur simple décision de l'associé représentant plus de 95% du capital et du nombre total des droits de vote.20 - Dans l'ensemble, et nonobstant cette seconde proposition, le législateur, soucieux de préserver l'orthodoxie de la loi sur les sociétés commerciales, entendait donc se situer dans le cadre tracé par le Rapport du Sénateur P. Marini. C'est pourquoi il avait d'ailleurs d'emblée écarté les propositions du Medef qui, poursuivant sa logique de déréglementation de la Loi, militait pour une plus ample simplification et, in fine, une banalisation de la SAS.

20 - Dans l'ensemble, et nonobstant cette seconde proposition, le législateur, soucieux de préserver l'orthodoxie de la loi sur les sociétés commerciales, entendait donc se situer dans le cadre tracé par le Rapport du Sénateur P. Marini. C'est pourquoi il avait d'ailleurs d'emblée écarté les propositions du Medef qui, poursuivant sa logique de déréglementation de la Loi, militait pour une plus ample simplification et, in fine, une banalisation de la SAS.
Petit à petit toutefois, grâce à un méticuleux travail de sape, sur l'instigation principalement du patronat, l'idée d'une forme sociale souple à disposition de l'ensemble des sociétés, PME comprises, continuait de faire son chemin en vue de marquer la conscience collective des juristes et d'ébranler les certitudes du législateur. J. Simon, directeur des affaires juridiques du Medef a d'ailleurs reconnu que dès 1990, les concepteurs du projet avaient envisagé son ouverture aux PME et aux personnes physiques et que c'est seulement par souci d'éviter une réaction de rejet des plus conservateurs que la SAS de l'époque avait été limitée dans son utilisation.

21 - Globalement, jusqu'au milieu de l'année 1999, le passage à la SAS à main unique restait donc la principale réforme envisagée par le législateur. Etait-il possible néanmoins d'envisager d'autres modifications fondamentales de son régime légal ? L'hésitation était permise.
D'une part, il pouvait sembler malaisé de réformer une société aussi contractualisée puisque, par définition, le squelette législatif qui la sous-tend est réduit à l'essentiel. D'autre part, après quelques années d'existence, aucune carence, aucun défaut structurel inacceptable, aucun signe de risque majeur, n'avaient été relevés. Certes, certains problèmes pratiques avaient été rencontrés mais aucun n'avait semblé insurmontable. En outre, une meilleure compréhension de ses délicats mécanismes par les praticiens et l'éclairage d'une jurisprudence encore inexistante devaient, à court terme, aider rapidement à leur résolution.
Enfin et surtout, dans le cadre de la loi du 24 juillet 1966, il ne semblait pas possible de banaliser la SAS sans risquer de remettre en cause l'orthodoxie et la cohérence de l'édifice législatif. Le "possible" semblait avoir déjà été réalisé. Aller au-delà de la "frontière" que le législateur avait d'abord tracée avec la loi de 1966 puis repoussée avec la loi du 3 janvier 1994, impliquait nécessairement une reconception totale du droit des sociétés et une remise en cause des axiomes à la base de notre système de droit continental. Il semblait donc exclu que le législateur se décide à lâcher sur le droit des sociétés les "démons" du libéralisme contractuel.

22 – Aussi n'était-il pas surprenant que les projets de réforme de la SAS n'aillent pas bien au-delà des propositions faites par le Sénateur P. Marini. On devait donc, selon toute vraisemblance, en rester là de la libéralisation de son régime légal. Or, c'était sans compter sur l'acharnement de groupes de pression qui, profitant de l'enlisement de ce projet et du manque apparent de coordination et de réflexion prospective du législateur, sont finalement parvenus à faire adopter une réforme de la SAS, sous un label trompeur, qui pourrait bien, à moyen terme, faire imploser le droit des sociétés français.
  •   …à la loi n°99-587 du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche
23 - C'est une association d'entrepreneurs, baptisée "Objectif 2010", qui est à l'origine de la réforme de la SAS (ci-après "la Réforme"). Créée en 1998 par des entrepreneurs français installés aux Etats-Unis et soutenus par des avocats fiscalistes et des "capital-risqueurs", elle s'est fixée pour objectif de promouvoir l'esprit d'entreprise en France.
Fustigeant l'inadaptation du statut de la société anonyme aux entreprises en phase de démarrage et présentant des critères d'innovation spécifiques, elle mit au point une formule baptisée "Société par Actions Simplifiée pour l'innovation" ou "société anonyme du 21ème siècle". Inspirée par le modèle juridique anglo-saxon, elle entendait ainsi proposer la mise en place, dans un cadre souple et évolutif, d'une société où les associés définissent eux-mêmes les règles de fonctionnement et bénéficient d'un statut fiscal avantageux.


24 - En dépit de son intérêt évident, il n'était pas déraisonnable de penser que la proposition de SA 21 ne serait pas suivie d'effets et ceci d'autant plus qu'une réforme de la SAS et, plus généralement, du droit des sociétés était susceptible de venir en discussion au Parlement à brève échéance. En effet, après avoir fait circuler auprès des différents milieux professionnels et académiques plusieurs avant-projets, le Gouvernement avait fini par élaborer un texte relativement consensuel. On se préparait, dans ces conditions, à un grand débat au Parlement sur l'avenir du droit des sociétés en France et, plus spécifiquement, sur la place d'une société contractualisée et libéralisée dans notre système juridique.
A force d'obstination et de lobbying, le projet de l'association "Objectif 2010" finit pourtant par attirer l'attention du ministère de l'Economie et des Finances. Le 27 mai 1999, D. Strauss-Kahn annonça devant l'Association Française des Investisseurs en Capitaux que la partie juridique du projet allait être présentée par le Gouvernement, sous forme d'un amendement, à la loi sur l'innovation et la recherche alors en discussion à l'Assemblée . Présentée au Parlement au début de l'année 1999, cette loi, au contenu hétéroclite, devait en particulier favoriser le transfert de technologie de la recherche publique vers les entreprises privées.


25 - D'emblée, il apparaissait évident que le lieu et le moment n'étaient pas propices à une discussion sur le statut de la SAS. Aussi, à l'image de la réforme des stock-options, figurant initialement dans le projet de loi mais qui, selon C. Allègre, était une "question trop complexe, trop passionnelle pour être traitée de façon convenable dans une loi sur l'innovation" , aurait-il été plus adéquat de reporter la modification de son régime légal. Une telle réforme n'était-elle pas au moins aussi "complexe" que la question des stock-options ?
Toujours est-il qu'après avoir été adoptée en première lecture par le Sénat le 18 février 1999, cette loi fut présentée à l'Assemblée Nationale le 3 juin 1999. A cette occasion, J-P. Bret, rapporteur de la Commission des Affaires Culturelle et Sociales, en accord semble-t-il avec C. Allègre, E. Guigou et D. Strauss-Kahn , déposa un amendement n°46 proposant l'introduction d'un nouvel article 2 bis dans le projet de loi et consistant à ouvrir largement le régime de la SAS à l'intention, mais pas exclusivement, des entreprises innovantes, allant ainsi au-delà des espoirs et des propositions avancées initialement par l'association "Objectif 2010". Par la suite, mais sans succès, un sous-amendement n°96 fut même présenté avec pour objectif d'abaisser le capital social de la SAS à 50.000 Francs afin de favoriser son accès à toutes les entreprises nouvelles.
A cet égard, il est piquant de relever les réflexions du ministre de l'Education Nationale, de la Recherche et de la Technologie et du rapporteur de la Commission des Affaires Culturelles et Sociales. Refusant cette proposition, C. Allègre précisa que "l'idée qui anime cette proposition est bonne. Mais nous ne saurions l'accepter, car elle entraînerait un profond changement du droit des sociétés, alors que ma collègue, Mme Guigou présentera prochainement un texte visant précisément à le réformer […] Comprenez ma gêne : je sais que le garde des Sceaux prépare une refonte du droit des sociétés" . Quant à J-P. Bret, il se déclara tout bonnement défavorable à un tel amendement car "il ne serait pas de bonne méthode de réformer par ce biais le droit des sociétés".

Finalement, sans aucune discussion substantielle, l'amendement n°46, fut adopté et transmis pour seconde lecture au Sénat. Là encore, il ne fit, pour ainsi dire, l'objet d'aucune remarque ou contestation organisée. Pour l'essentiel, dans les deux assemblées, les débats se concentrèrent en fait sur l'importance de la recherche scientifique et sur ses applications industrielles tant il est vrai que "le secteur des technologies modernes…représente un gisement d'emplois important".

26 - Eu égard au nouveau statut de la SAS, cette léthargie parlementaire, qu'il serait tentant de faire passer pour une démarche consensuelle visant à accorder à toutes les entreprises un statut juridique souple et contractualisé, contraste néanmoins avec les débats animés cinq ans auparavant par X. de Roux et E. Dailly. Seul, dans un éclair de lucidité, P. Laffitte, rapporteur de la Commission des Affaires Culturelles du Sénat fit remarquer que le champ d'application de la nouvelle SAS ne se limitait pas aux seules entreprises innovantes et donc dépassait très largement le cadre du projet de loi en discussion, et, qu'à cet égard, on pouvait regretter "qu'une réforme d'une telle ampleur, qui aurait pu être un des principaux éléments de la réforme annoncée du droit des sociétés, soit soumise au Parlement sous la forme d'un amendement au présent projet de loi : elle aurait en effet mérité de faire l'objet d'un véritable débat et d'être discutée en détail" . Et J-J. Hyest de conclure qu'un tel amendement pourrait bien finalement plonger la loi sur les sociétés commerciales dans le chaos. En effet, alors qu'il vise officiellement à simplifier le formalisme administratif imposé aux "start-up" à vocation innovante et à favoriser l'entrée d'investisseurs au capital de ces sociétés, cet amendement, succinct dans sa formulation, risque fort de bouleverser profondément le droit des sociétés. Loin de se contenter d'une simple innovation, la loi du 12 juillet 1999, obéissant à un principe d'économie de moyens tout aussi surprenant qu'extraordinaire, déclenche en fait, en deux phrases, une véritable révolution dont nous tâcherons, au fil de notre étude, de dégager les particularités.

Or, il semble, ce qui dans le fond est plutôt consternant, que cette réforme de la SAS n'ait pas été votée avec l'intention de transformer le droit des sociétés mais, plus prosaïquement, de favoriser les entreprises innovantes. Ce serait donc bien uniquement dans le souci de favoriser les "start-up", autrement dit en cédant à la pression des lobbies et à des objectifs financiers et économiques, que le législateur a engagé cette réforme fondamentale. On a ainsi la désagréable impression que le patronat et les organismes professionnels, soutenus par les groupes d'investisseurs, ont réussi à faire passer, sans coup férir et presque à l'insu du Gouvernement et des parlementaires, la plus importante réforme en droit des sociétés depuis plusieurs décennies.

27 - Au demeurant, il est pour le moins surprenant de retrouver, dans un amendement déposé au détour d'un projet de loi sur l'innovation et la recherche, une modification aussi sérieuse de la loi du 24 juillet 1966 alors même que la réforme de la SAS était déjà prévue dans l'avant-projet de loi de la Chancellerie. On a même du mal à comprendre comment le ministre de la justice a pu donner son accord pour le dépôt d'un tel texte qui saborde en fait son propre projet de réforme. L'initiative de Bercy, relayée par C. Allègre, tendrait donc à prouver que la modification de la Loi est repoussée sine die. De toute façon, on peut se demander aujourd'hui si cette réforme "intempestive" de la SAS ne vient pas tuer dans l'œuf le texte de la Chancellerie et réduire par avance, significativement, l'intérêt d'un débat sur la réforme des formes sociales traditionnelles, telles que la SA et la SARL.

28 - Au-delà de ces "incohérences", il est permis toutefois de se demander si le Gouvernement, en faisant passer en catimini cette Réforme, n'a pas tout simplement habilement manœuvré le calendrier législatif pour alléger sa charge de travail. On sait en effet que la Chancellerie, après avoir engagé la réforme des tribunaux de commerce et des lois sur la faillite, s'est attelée à la modification du Code Pénal et du Code de Procédure Pénale ainsi qu'à la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature. Or, ce calendrier, déjà fort chargé, a été, de surcroît, confronté aux impératifs de la politique générale, économique et sociale du Gouvernement dont l'attention et l'énergie ont été, dès l'automne 1999, très largement accaparées par le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail, aux modalités de financement des organismes sociaux et la préparation de la loi de finances pour l'an 2000.
Quelles que puissent avoir été les motivations du législateur, il reste que, le 12 juillet 1999, la SAS a fait juridiquement un "bond en avant" considérable, qu'il est difficile d'expliquer sur la base des seuls travaux parlementaires. Par ailleurs, on notera l'importance croissante (inquiétante ?!) du Ministère de l'Economie dans les projets de réforme de la loi du 24 juillet 1966. Depuis la loi "Madelin", il est vrai que les juristes s'étaient habitués à un certain interventionnisme. On est pourtant autorisé à se demander s'ils ont aujourd'hui définitivement perdu le monopole du droit. Sous son aspect provocateur, la question n'est pas totalement incongrue. On dit en effet que la réforme des tribunaux de commerce aurait, elle aussi, été largement supervisée par Bercy . En outre, la loi n°2001-420 du 15 mai 2001 sur les Nouvelles Régulations Economiques, enfantée par Bercy, réforme également de façon insidieuse la loi de 1966.

29 - En définitive, profitant de la torpeur estivale et court-circuitant l'avant-projet de réforme de la Loi, le Gouvernement a escamoté le débat démocratique qu'un tel texte exigeait. Cette attitude nous dispense ainsi d'une réflexion essentielle sur l'avenir et la recomposition du droit des sociétés. On se retrouve donc aujourd'hui, de facto, devant une situation législative nouvelle sans savoir si le législateur a pleinement pris conscience de l'enjeu de la réforme et de ses répercussions. Car, pour reprendre certaines des critiques exposées par J-J. Hyest, ce qui est contestable dans la démarche du législateur, ce n'est pas tant la volonté de favoriser la création d'entreprises par l'adaptation du droit des sociétés que la dénaturation d'une forme sociale mise en place en 1994 pour des raisons bien spécifiques et, du même coup, réformer et vider de sa substance, sans prendre ni précautions ni garanties, la loi du 24 juillet 1966.

30 - In fine, le législateur sort la SAS de la zone d'isolement dans laquelle elle avait été cantonnée cinq ans auparavant. C'est donc la fin d'une mise en quarantaine qui, jusqu'alors, avait eu pour but essentiel de protéger le droit des sociétés contre la contagion contractuelle. Paradoxe de l'histoire, cette "nouvelle" Société par Actions Simplifiée ressemble étrangement au "projet Field" présenté par le CNPF sous la forme de la "Société Anonyme Simplifiée". Or, en offrant désormais à toutes les entreprises une structure suffisamment souple pour épouser leurs besoins et dépasser ainsi la multitude des formes sociales, la loi n°94-1 du 3 janvier 1994, telle que modifiée par la loi n°99-587 du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche, est indéniablement en passe de donner un nouveau visage au droit français des sociétés commerciales. Aussi, si la SAS se présente d'abord comme le symptôme de la transformation du droit des sociétés, (PREMIERE PARTIE), elle s'impose également comme le moteur de cette transformation (DEUXIEME PARTIE).

  1. Voir notamment, M. Germain et P-L. Perrin, La Société par Actions Simplifiée, Jcl. Sociétés, Fasc. 155-1 et svts ; P. Le Cannu et A. Couret, La Société par Actions Simplifiée, Joly Sociétés, mars 1996 ; Société par Actions Simplifiée, A. Charvériat et A. Couret, Editions F. Lefebvre, 1999 ; La Société par Actions Simplifiée, F. Attar et O. Tournu, Le Conseiller Juridique pour Tous, n°115, Editions Du Puits Fleuri, 2000 ; La SAS, Revue Fiduciaire, HS, avril 2001 ; La nouvelle SAS, n°185 (numéro spécial), Petites Affiches, 15 septembre 2000 ; La Société par Actions Simplifiée, n°2 (numéro spécial), Rev. Sociétés, avril-juin 2000 ; Y. Guyon, L'élargissement du domaine des Sociétés par Actions Simplifiées, Rev. Sociétés, n°3, septembre 1999 ; J-J. Caussain, Du bon usage de la SAS dans l'organisation des pouvoirs, Sem. Jur. Ed. E. n°42, 21 octobre 1999 ; J. Paillusseau, La nouvelle Société par Actions Simplifiée et le big-bang du droit des sociétés, D. 16 septembre 1999 ; D. Vidal, Le deuxième souffle de la Société par Actions Simplifiée, Droit des Sociétés, août-septembre 1999 ; D. Randoux, Une forme sociale ordinaire : la SAS, Sem. Jur. Ed. E. n°46, 18 novembre 1999 ; P-L. Perin, L'organisation des pouvoirs dans la SAS, Thèse de l'Université Paris II, 28 juin 1999.

  2. Voir, notamment, sur le développement du mouvement "anti-mondialisation", E. Cohen, L'ordre économique mondial, Fayard, 2001, p.71 svts et Les anti-mondialisation se mobilisent, La Tribune, 22 septembre 2000. Sur le renouveau de la critique sociale, L. Boltanski et E. Chiappello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, p.423 et svts.

  3. L. Bolstanski et E. Chiappello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard.

  4. L'influence des marchés, que stimule largement le développement des moyens informatiques et de télécommunication, est telle qu'il est courant aujourd'hui de parler de "marchéisation" des économies. (Bull. COB, février 1995, n°288).

  5. E. Cohen, L'ordre économique mondial, Fayard, 2001.

  6. La valeur totale cumulée des fusions-acquisitions internationales a atteint 1.200 milliards de dollars entre 1988 et 1995, dont 866 milliards pour la seule année 1995. Le consultant américain Securities Data a évalué à 1.000 milliards de dollars le montant total des fusions-acquisitions réalisées dans le monde en 1996. Selon une étude réalisée par KPMG, le montant des fusions-acquisitions et des joint-ventures transfrontalières a progressé en 1998 de 59% par rapport à 1997, pour atteindre un total de 470 milliards d'Euros (Les grandes transactions transfrontalières tirent le marché, Option Finance, n°532, 25 janvier 1999). Suivant cette progression "exponentielle", en 1998, le marché des fusions-acquisitions a atteint le montant de 2.500 milliards de dollars. Les transactions en Europe ont, à elles seules, représenté 4.500 milliards de Francs, soit une augmentation de 50% par rapport à 1997, la France enregistrant déjà 22 opérations à plus de 10 milliards de Francs (Fusions-acquisitions, l'explosion, Option Finance, n°542, 6 avril 1999, p.6 et svts).

  7. Pour une étude de la mondialisation, voir notamment, E. Cohen, L'ordre économique mondial, Fayard, 2001, p. 74 et svts.

  8. General Agreement on Tariffs and Trade.

  9. Dans un contexte de plus en plus concurrentiel, plusieurs facteurs expliquent le renforcement de l'intervention à l'étranger des firmes multinationales. On peut mentionner, en particulier, la recherche d'un accès direct aux ressources naturelles, la volonté de réduire les coûts de production par une main-d'œuvre bon marché et le besoin de se rapprocher du consommateur final en contournant d'éventuelles barrières protectionnistes. De plus, la baisse des coûts des transports et des télécommunications a facilité grandement la gestion des firmes multinationales et leur ouverture sur le monde.

  10. C'est l'Europe de l'Ouest qui se place comme principale zone d'accueil de ces investissements puisqu'elle récupère 43% des IDE à destination des pays développés. En 1995, elle a ainsi attiré 112 milliards de dollars d'investissement contre 71 milliards en Amérique du Nord et 65 milliards en Asie. Plusieurs facteurs positifs expliquent la prééminence de l'Europe de l'Ouest en tant que pôle d'attraction des capitaux étrangers. On peut citer notamment la qualité des infrastructures et de la main-d'œuvre, le nombre important de Petites et Moyennes Entreprises, l'existence de nombreux réseaux de sous-traitance ainsi que la mise en place de la monnaie unique. En outre, la taille et la stabilité du marché unique européen, avec ses 290 millions de consommateurs et un PIB par habitant de 19.002 Euros, permet à "Euroland" de faire jeu égal avec les USA (Euroland, Newsweek, numéro spécial, novembre-décembre 1998).

  11. Voir, par exemple, Renforcer l'Allemagne comme terre d'investissement, Les Echos, 7 janvier 2002.

  12. Au cours de ces dernières années, la très forte progression des IDE a inévitablement engendré et stimulé la concurrence entre les économies nationales. L'attraction des IDE est, ainsi, devenue un enjeu important dans les politiques de développement mises en œuvre par les autorités nationales. Pour les Etats et leurs gouvernants, la réussite de leurs politiques suppose donc de connaître précisément les éléments influençant les firmes multinationales. Plusieurs critères clés peuvent être dégagés. On peut citer, notamment, et par ordre de priorité : i) la croissance du marché ; ii) la taille du marché ; iii) les perspectives de profit ; iv) la stabilité politique et sociale ; v) l'environnement légal et réglementaire ; vi) la qualité de la main-d'œuvre ; vii) la qualité des infrastructures ; viii) l'environnement tertiaire et industriel ; ix) le coût de la main-d'œuvre ; x) l'accès aux hautes technologies ; xi) la peur du protectionnisme ; xii) l'accès aux ressources financières ; xiii) l'accès aux matières premières. Les firmes multinationales sont donc particulièrement sensibles à l'environnement légal et réglementaire puisque ce critère vient en cinquième position parmi les critères de localisation listés ci-dessus. C'est même le second critère "non économique" pris en compte par les multinationales après leur désir de stabilité politique et sociale ce qui, incontestablement, confirme que désormais, dans l'esprit des entrepreneurs, le droit joue un rôle déterminant dans la localisation des activités économiques et la performance des entreprises (Sur ce point voir notamment, L'investissement international à l'horizon 2001, Etude réalisée conjointement par le Ministère de l'Economie et des Finances, la DATAR, et la société Arthur Andersen, de juin à octobre 1996, auprès des dirigeants de 311 firmes multinationales et d'experts internationaux).

  13. "La défiscalisation liée au Marché Commun…tend à favoriser une compétition entre les Etats-membres où les facteurs fiscaux ne seront plus prépondérants. Si l'optimisation fiscale a pu paraître un objectif prioritaire, il semble que dorénavant l'investisseur prenne en compte de multiples facteurs stratégiques en recherchant notamment l'environnement le plus propice au développement de son investissement. Souplesse et sécurité juridique seront les mot-clés que devront adopter les pays désireux d'attirer les investissements étrangers". La place de la holding internationale en France, F. Dupont, Gaz. Pal., 11 et 13 juillet 1991, p.2.

  14. On rappellera à cet égard que la France a significativement assoupli le contrôle des investissements étrangers par la loi et le décret du 14 février 1996.


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